Repenser nos usages avec la sobriété énergétique : le cas de l’éclairage urbain
- Ulysse Dorioz
- 4 févr. 2024
- 3 min de lecture
Tiraillées entre contraintes budgétaires et attentes des citoyens, de nombreuses communes révisent leurs pratiques en matière d’éclairage public et font face à un véritable casse-tête. Si le développement technologique assure des solutions de plus en plus accessibles aux problématiques d’ordre technique, la clé de ce sujet sensible réside dans notre capacité à proposer une évolution culturelle et à changer de perspective pour que dorénavant les nuits noires ne riment plus avec insécurité, mais avec progrès.
Si les ménages sont sensibles aux nouvelles augmentations des coûts de l’électricité à venir (environ +9% en février prochain), ces dernières pèsent également sur les collectivités territoriales, dont 40% des dépenses énergétiques concernent l’éclairage public. Face à un poste de dépense grandissant, et en adéquation avec le plan de sobriété de la France, près de 12 000 villages et villes (sur les quelque 35 000 communes de France) ont déjà entrepris des actions pour réduire ces dépenses, notamment via des mesures de réductions totales ou partielles de leur éclairage public. A Bordeaux par exemple, outre le centre-ville et quelques grands axes, l’éclairage public est coupé entre 1 et 5 heures du matin. De son côté, la ville de Clermont-Ferrand a diminué de 18% sa consommation pour l’éclairage public grâce à l'extinction de 60% de son parc de minuit à 6 heures.
Alors qu’elles répondent aux contraintes budgétaires, ces nouvelles pratiques soulèvent des défis techniques (adaptation des infrastructures) et se heurtent à des blocages symboliques et culturels. C’est notamment le cas dans les villes, où la peur du noir dans les rues est une construction sociale profondément ancrée (bien qu’aujourd’hui aucune corrélation entre éclairage et (in)sécurité n’ai été démontrée).
L’ancrage culturel et l’importance de la lumière dans notre société remonte aux premiers hommes où, comme le considèrent certains historiens, celle émise par le feu fût déterminante dans le développement de leurs capacités à apprendre, à échanger et à faire société. Vecteur de socialisation d’abord puis de sentiment de sécurité lorsque l’éclairage public se déploie dans les grandes villes européennes du XIXe siècle, jusqu’aux myriades de lumières de Time Square, véritable objet de fascination des métropoles modernes.
Pourtant, outre son coût, l’éclairage de l’espace public soulève depuis toujours également des problématiques d’ordre environnemental. Au XIXe siècle déjà, l’usage intensif d’huile de graisse de baleine, principal combustible pour l’éclairage public, a contribué à la décimer une espèce aujourd’hui menacée d’extinction. En Chine, l’éclairage urbain repose principalement sur des sources d’énergie primaires au charbon contribuant aux émissions de gaz à effets de serre. Enfin, dénommées par l’expression de « pollution lumineuse », l’éclairage urbain permanent est à l’origine de nombreux impacts et dérèglements de la faune et la flore – elle est, par exemple, la seconde cause de disparition des insectes après les pesticides - mais également de troubles de la santé habitants (troubles du sommeil par exemple).
Les contraintes économiques qui pèsent sur l’éclairage public constituent donc l’occasion de réviser les usages pour construire le futur des nuits urbaines, en meilleure adéquation avec la santé globale de l’environnement. Si le développement technologique balaiera vite les défis techniques (développement et déploiement de LED très basse consommation et de détecteurs de mouvement), ceux d’ordre culturel sont à prendre à bras le corps dès à présent. Dans la perspective de sobriété énergétique, les solutions doivent provoquer l’émergence de nouveaux usages et non répliquer nos habitudes en améliorant simplement leur efficacité énergétique.
Alors que de plus en plus de Français sont enclin à la réduction de la durée de l’éclairage public (92% en 2022 alors qu’ils étaient seulement 48% 10 ans auparavant), il est aujourd’hui temps d’écrire un nouveau chapitre où, dans la conscience collective, progrès ne rime plus systématiquement avec luminosité élevée et nuits noires avec angoisses. Dans ce cadre, si l’utilisation des 11 millions de lampadaires allumés chaque soir est à repenser, il nous semble incontournable d’en faire en priorité de même pour les 3,5 millions d’enseignes commerciales lumineuses.
