Se méfier de l’eau qui dort
- Sylvain Bogeat
- 3 juil. 2024
- 4 min de lecture
La tribune, publiée dans la revue Pouvoirs Locaux met en lumière le potentiel de la gestion de l'eau, semblable à celui de l'énergie, dans un contexte social tendu. Elle souligne les défis actuels tels que les sécheresses et les tensions internationales, et prédit une hausse de 50% du prix de l'eau d'ici 2030. Pour améliorer la situation, l'auteur propose d'augmenter le prix de l'eau pour financer les infrastructures, introduire une tarification sociale, encourager l'économie d'eau avec des kits économiseurs et renforcer le rôle des collectivités locales dans la gestion de cette ressource.
Après l’essence, le gaz, l’électricité... l’eau peut-elle également devenir un sujet explosif ? Dans un climat social si volatil et délicat à décrypter, la hausse des prix de l’énergie a été précédée de son cortège de craintes politiques. L’expérience des Gilets jaunes nous a appris à décrypter les réseaux sociaux comme le marc de café, à la recherche de ces fameux signaux faibles préludes à de potentielles explosions sociales.
Une augmentation du prix de l'eau prévue
A cet égard, pas besoin d’être augure professionnel pour déceler dans l’eau le même potentiel réactif que sur l’énergie. Crise des bassines à l’été 2023, inondations dévastatrices, sécheresses récurrentes et restrictions sur les usages, tensions avec notre voisin suisse sur le bon étiage du Rhône sont autant d’illustrations de l’importance des enjeux qui s’attachent à la gestion de cette ressource stratégique. A ceci s’ajoute une sourde inquiétude sociétale sur l’impact des hausses du prix de l’eau, qui devrait bondir de 50% d’ici à 2030 à en croire France Eau publique. Après des années de gestion plus insouciantes, voilà que l’élastique se tend par les deux bouts : raréfaction de la ressource d’une part, multiplication des phénomènes climatiques extrêmes de l’autre.
Le gouvernement a commencé à prendre la mesure du sujet, en témoigne le plan eau lancé en 2023, et la mobilisation du ministre de la Transition écologique. Avec toutefois des différences d’appréhension du politique entre l’eau et d’autres commodités telles que l’essence et l’électricité. Elles peuvent s’expliquer pour trois raisons. La première, c’est que l’eau ne pèse pas du même poids dans la facture du quotidien. N’en déplaise aux prophètes populistes, l’eau ne coûte pas cher, ou en tout cas pas suffisamment pour nous obnubiler comme le carburant, et c’est bien là le problème. Deuxième constat, la carte administrative et le territoire ne dialoguent pas aisément, faute pour les frontières de nos collectivités locales d’épouser la géographie implacable de nos cours d’eau, de nos thalwegs et de nos nappes phréatiques. La dernière raison, enfin, est plus politique. Les Parisiens et plus généralement les habitants des métropoles ne sont pas exposés de la même manière que ceux du Pas de Calais ou des Pyrénées orientales à la question. A vrai dire, le seul moment où la ressource aquifère se rappelle à l’existence d’un citadin, c’est généralement lorsque son plafond se met à goutter et ses murs à gondoler où que le voisin s’annonce sans prévenir sur le palier pour les mêmes raisons.
Comment aller plus loin ?
D’abord en donnant plus de place aux collectivités, qui ont un rôle clé à jouer dans la gestion de l’eau, compétence historiquement décentralisée mais soumise à des tensions centripètes. Ensuite en privilégiant à un plan en 50 actions quelques mesures phares, puissantes et politiques. Le Premier ministre a donné la recette avec son choc des savoirs pour l’Education nationale.
Première proposition :
En matière de financement, augmenter le prix de l’eau pour les particuliers, jusqu’à dégager les financements requis pour remettre en état le réseau, évalués à plusieurs milliards d’euros par an... Un principe de justice voudrait que ce prix augmente davantage pour l’agriculture et l’industrie, principales consommatrices de la ressource. Le pragmatisme suggère plutôt de mettre à contribution l’usager, dans un contexte marqué par la crise agricole et la nécessité de maintenir nos usines compétitives. D’autant qu’à la fin, le résultat est le même, producteurs d’énergie et agriculteurs répercutant la hausse sur leur prix final. C’est pourquoi la tarification sociale coule de source, avec la gratuité des premiers mètres cubes d’eau indispensables à tout un chacun, et la tarification progressive des suivants. On fait ici d’une pierre deux coups : se donner les moyens de financer les investissements indispensables dans le réseau pour une meilleure gestion de la ressource, et opérer une redistribution au profit des plus fragiles. En caricaturant à gros traits, le remplissage des piscines privées financera la consommation quotidienne des plus modestes.
Seconde proposition :
Pour faire évoluer les comportements et traduire l’injonction à la sobriété en action, offrir à tous les foyers les plus modestes un kit économiseur d’eau comprenant mousseurs et économiseur pour douches, robinets et toilettes (20 euros en moyenne, très rapidement rentabilisé). Leur installation serait rendue obligatoire dans les logements locatifs en zones hydriques tendues, au même titre que le détecteur de fumée.
Avec une constante dans la méthode : laisser davantage faire les collectivités, que ce soit pour déterminer les évolutions du prix de l’eau, déployer des kits et plus généralement dialoguer avec le citoyen. Parce que l’eau restera un enjeu local, son avenir et sa gestion ne doivent pas être capturées par la technique ni décidés depuis Paris. C’est aux élus locaux, dans un dialogue permanent avec l’Etat et le citoyen, qu’il appartient de faire en sorte que les guerres de l’eau n’aient pas lieu.