Europe First
- Ulysse Dorioz
- 6 nov. 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 7 nov. 2024
Faire contribuer davantage les non Européens au fonctionnement de notre société et assumer une priorisation politique pour les acteurs qui construisent l'Europe au quotidien ?
La ministre Rachida Dati a proposé un tarif des musées et monuments nationaux plus élevé pour les touristes non Européens afin de financer l’entretien du patrimoine français. Le débat qui a suivi doit être regardé plus largement et d’un point de vue politique, celui d’une préférence européenne assumée. La question qui est posée - est-il normal qu’un touriste brésilien paie le même tarif qu’un citoyen européen pour visiter Notre Dame de Paris ? La réponse semble aller de soi. L’argumentaire sous-jacent : la restauration et l’entretien du patrimoine est largement financé par le gouvernement français et l’Union Européenne. Les ressources prélevées pour ce faire sont donc celles de citoyens français et européens. Une tarification segmentée selon la contribution économique à l’entretien de ce patrimoine apparaît donc logique. Mais il semble nécessaire de sortir de l’intuition budgétaire de “bon sens” pour assumer de regarder la proposition d’un point de vue politique.
La croyance en un monde d’échanges libres, parfaits et équitables s’est érodée au fil des deux dernières décennies. Les grandes puissances affichent désormais des préférences nationalistes sans complexe : la Chine assume ouvertement sa priorité nationale, tandis que le slogan "America First" a trouvé une large résonance aux États-Unis. La victoire de Donald Trump en est la confirmation flagrante. Un exemple parlant : le Muséum d'histoire naturelle de New York applique des tarifs distincts pour ses citoyens et les visiteurs étrangers, marquant ainsi une différenciation claire.
Il semble donc que le moment soit venu, pour l’Europe aussi, d’assumer une préférence européenne dans ses, dans nos décisions publiques. Une telle orientation permettrait de valoriser ceux qui contribuent activement à la prospérité de notre continent, et de renforcer notre sentiment d’appartenance collective dans un monde de plus en plus polarisé. L'enjeu crucial est de rendre plus tangible, dans le quotidien des citoyens, les bénéfices d'appartenir au projet européen. Il s’agit non seulement de renforcer ce sentiment de fierté, profondément enraciné, de participer au destin commun du pays et de l’Europe, mais aussi de le matérialiser par des avantages concrets, visibles et assumés – un geste attendu, légitime, qui s’impose naturellement. Loin d’un esprit d'exclusion, il s'agit de valoriser ceux qui accueillent, ceux qui s’investissent et partagent ce dessein collectif. Et l’échelle européenne apparaît alors comme le niveau pertinent pour introduire cette différenciation tarifaire : c'est bien à ce niveau que se jouent les rivalités de puissance, où se construit notre place dans le monde.
Ce raisonnement offre aussi une opportunité de récit plus politique sur le débat actuel sur le budget de l’Etat en France. Les discussions sur les recettes fiscales supplémentaires devraient intégrer ce marqueur d'appartenance au projet européen.
En France, on recense 320 000 résidences secondaires appartenant à des propriétaires résidant hors de nos frontières, d’après l’INSEE. Parmi eux, la moitié sont des non-Européens, principalement des Britanniques (27 %) et des Suisses (11 %). Ce sont donc quelque 150 000 résidences secondaires détenues par des non-résidents de l’Union européenne, souvent des propriétaires aisés. Cette situation ouvre la voie à une réflexion plus politique sur la justice fiscale, permettant de renforcer l’identité européenne sans tomber dans le discours stigmatisant d’une « chasse aux riches ».
Ne serait il pas légitime que les propriétaires étrangers de résidences secondaires paient plus que les propriétaires français, qui contribuent déjà par leurs impôts à l'effort fiscal ? Voilà 150 000 foyers britanniques, suisses, qataris, américains et chinois qui représentent un potentiel de recettes prioritaires pour le budget de l’État. Pour avoir un ordre de grandeur, une taxe annuelle de 10 000 euros rapporterait ainsi 1,5 milliard d’euros, soit davantage que l’économie espérée de la suppression de 2 000 postes d’enseignants et presque autant que la hausse des impôts des 65 000 ménages français les plus fortunés. Et pour jeter un oeil outre-mer à nouveau, depuis janvier 2023, une loi restreint l’achat de biens immobiliers pour les non Canadiens. Une approche plus radicale et dans un pays reconnu pour sa qualité d'accueil et son ouverture. Un cas qui illustre que cette approche est tout à fait compatible avec une politique d’ouverture.
Assumer une préférence européenne dans les choix budgétaires, c’est offrir une opportunité de réaffirmer notre appartenance collective et de donner un sens tangible aux efforts consentis par chacun dans la construction de notre pays et de nos territoires. Appliquer une même tarification pour tous, sans distinction, revient à occulter la contribution de ceux qui façonnent ce pays jour après jour, souvent depuis des générations.
