Grand Paris : comment passer d’un projet de transports à un projet de métropole?
- Sylvain Bogeat
- 21 avr. 2024
- 5 min de lecture
Le projet de Grand Paris s’est incarné autour d’une nouvelle offre de transports
Dans les méandres d'une métropole en constante mutation, le Grand Paris se dessine à travers un réseau de transport en pleine expansion. D'ici 2030, pas moins de 169 nouvelles stations, incluant 68 gares et près de 100 arrêts de tramway, verront le jour dans la Métropole du Grand Paris. L'ambitieux projet du Grand Paris Express, parcourant 200 km de voies, s'érige en véritable architecte du rééquilibrage métropolitain, tissant de nouveaux liens entre les territoires qui la composent. Alors que les mises en service des lignes s'échelonneront entre 2025 et 2030, l'horizon urbain se redessine.
Il préfigure également une régénération urbaine d’une amplitude inégalée
Au cœur de cette métamorphose, les quartiers de gare émergent comme des pôles d'attraction immobilière. L’Observatoire Régional du Foncier revenait sur les grandes dynamiques à l’oeuvre dans sa dernière lettre. Plus de 350 projets immobiliers fleurissent dans les 68 quartiers concernés par le Grand Paris Express, préfigurant la construction de 32 millions de mètres carrés. Ces chiffres, révélateurs de la dynamique territoriale préexistante, soulignent également l'engouement suscité par le projet GPE et l'ampleur des transformations urbaines à venir. Les quartiers de gare doivent également incarner un urbanisme mieux équilibré en termes d’activités. Les nouveaux aménagements visent à intensifier l'usage foncier et à promouvoir une mixité d'usages entre le résidentiel et les bureaux.
Le projet urbain est évidemment un projet de société.
C’est d’ailleurs l’essence même de la loi du 10 juin 2010 relative au Grand Paris, qui justifie en ces termes "l’investissement considérable" que représente le Grand Paris Express. Par ses objectifs, son ampleur et ses impacts, le nouveau métro est un levier de transformation du Grand Paris. Il constitue l’armature de la métropole de demain, et la prépare aux défis futurs. Il ouvre alors de nouvelles perspectives économiques, sociales et environnementales.
Le Grand Paris doit désormais préparer ce qui se passe après le projet du Grand Paris Express, et passer d’une logique de travaux à un projet de territoire et à une dynamique de politiques publiques.
Le Grand Paris Express, au-delà de sa vocation de réseau de transport, incarne un levier majeur de transformation métropolitaine. La coordination entre les travaux d'infrastructure et les politiques d'urbanisme était dès la phase travaux perfectible. Plus encore, elle laisse entrevoir des défis en matière de gouvernance et de planification territoriale une fois que les projets commenceront à être livrés. On le voit déjà, derrière cette effervescence, des disparités se dessinent. Certains quartiers bénéficient d'une vigueur immobilière accrue, d'autres peinent à suivre le rythme. Les lignes 15 Ouest et 16 illustrent ainsi cette réalité, où l'effet centralisateur de la gare s'accentue dans les zones déjà dynamiques sur le plan immobilier. Les lignes ne suffisent pas à dynamiser les transactions immobilières dans les zones moins attractives, révélant les limites de leur influence. D’autres leviers de politiques publiques seront à mobiliser. Un enjeu majeur concerne la capacité de ces nouveaux quartiers de gare à résorber une partie des inégalités, notamment au sein des 53 QPV qu’il desservira.
Face à cette nouvelle donne, la métropole se doit de repenser ses modes de gouvernance et d'impulser une dynamique collective pour façonner un Grand Paris inclusif et durable.
La question revient régulièrement : le pilotage de cette nouvelle métropole qui se dessine est-il le bon? La coordination des travaux d’infrastructure a été assurée avec succès par la SGP, en mode projet. Pour autant, la planification des politiques d’urbanisme ne semble pas aussi bien coordonnée, et la mise en cohérence des différentes villes et quartiers composant cet ensemble de plus en plus densément tissé prend du retard. L’incarnation publique de la Métropole du Grand Paris n’a pas du tout imprimé auprès du grand public, qui voit encore les frontières des mairies d’arrondissement succéder aux frontières des différentes municipalités de chacun des quartiers de gare.
La Métropole du Grand Paris est ainsi régulièrement critiquée pour son déficit démocratique criant et ses mécanismes institutionnels qui peinent à fonctionner de manière efficace. Au contraire, ils semblent ajouter de la complexité à un mille-feuille administratif déjà dense, ce qui alimente le désarroi du grand public (si tant est que ceux qui la connaissent constituent un grand public).
Je suis convaincu que le prochain chantier du Grand Paris est un chantier institutionnel. Comment assurer une meilleure coordination entre territoires et éviter les compromis boiteux décriés par les sénateurs Philippe Dallier et Didier Rambaud dans leur rapport de 2021.
L’exécutif doit-il reprendre le sujet en main? Emmanuel Macron s’était engagé à insuffler "plus de dynamisme, de clarté et de volontarisme au projet du Grand Paris". Lors d'un discours devant les maires de France en novembre 2017, il avait ainsi exprimé le sentiment que toutes les opportunités n'avaient pas été saisies pour garantir la réussite de la métropole. Cette volonté de remise en question semblait aussi vive que celle de juin 2007, lorsque Nicolas Sarkozy, impatient de voir évoluer l'unique agglomération française dépourvue de communauté urbaine, avait souligné son importance stratégique en tant que "plus grande et plus stratégique des régions". Un secrétaire d’Etat avait été installé en 2008 pour piloter le projet. L'APUR consacre une rétrospective intéressante à l'histoire et au projet du Grand Paris.
Il me semble impératif que l'exécutif reprenne le portage politique du Grand Paris. Cela ne pourra se faire qu’en coordination avec les collectivités évidemment, mais cela nécessite une impulsion qui dépasse celles-ci. En effet, améliorer la lisibilité démocratique, l’efficacité financière et managériale nécessitera de réduire le nombre d’échelons. Les contraintes sont simples: assurer de la coordination transversale entre communes, supprimer certains échelons non pertinents et assurer une gouvernance territoriale transversale à l’aire métropolitaine.
Je ne vois que deux solutions crédibles émerger du débat public, et qui nécessitent désormais de trancher la question sous-jacente : quelle est la bonne taille pour cette métropole? Est ce que cela a du sens de vouloir organiser une gouvernance métropolitaine à l’échelle d’une région, ou faut-il la limiter à la petite couronne. La première des deux solutions, c’est le problème à trois corps : communes (incluant des fusions de communes), EPCI, Région-Métropole. La seconde, c’est le petit Grand Paris: une MGP intégrant les départements de petite couronne en échelons déconcentrés avec suppression des EPT.
Ce n’est qu’à ce titre qu’on arrivera à une réévaluation des mécanismes de gouvernance et à une réforme en profondeur permettant de renforcer la légitimité et l'efficacité de la prise de décision au sein de la métropole. Une telle démarche est indispensable pour répondre aux besoins et aux attentes des citoyens, tout en assurant une mise en œuvre cohérente et harmonieuse des politiques urbaines à l'échelle métropolitaine. La célérité institutionnelle du Grand Paris est hélas à peu près la même que celle de grands projets d’infrastructures. Il est donc urgent de se mettre au travail!
