Neuf mois d'espérance de vie perdus : « La pollution sonore est une question de santé publique qu'on ne peut plus ignorer »
- Sylvain Bogeat 
- il y a 21 heures
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Si familier qu'on ne l'entend plus, le fond sonore quotidien altère pourtant notre audition, notre sommeil et accroît le stress. L'exposition excessive au bruit nous coûterait 8,5 mois d'espérance de vie en bonne santé ! Des solutions concrètes existent pour en réduire l'impact et retrouver un peu de sérénité.
Faut-il aimer le bruit pour vivre en ville ?
Comme beaucoup de résidents de grandes métropoles, je souffre d'une certaine schizophrénie sonore. Habitué au vacarme des transports, des chantiers ou des écoles, j'associe ce brouhaha à la vie. À l'inverse, le silence total peut sembler inquiétant pour certains citadins : c'est pourquoi des hôtels américains - trop bien insonorisés - proposent même des machines à bruits blancs pour l'atténuer.
Le coût de ces décibels n'est pourtant pas anodin, en particulier chez les enfants et les seniors : troubles auditifs, stress, problèmes de sommeil, problèmes cardiovasculaires… En Île-de-France, le bruit ferait perdre près de neuf mois d'espérance de vie en bonne santé. À Barcelone, la plus bruyante des villes européennes, les habitants protestent contre le surtourisme. À Manhattan, parler au téléphone dans la rue relève de l'exploit.
C'est peut-être pour cela que nous associons quand même, dans notre imaginaire collectif, le bien-être au calme d'une campagne idyllique, au souffle du vent ou au ressac d'un littoral.
Ce que nous rejetons, ce n'est pas le bruit en lui-même, mais c'est celui que nous subissons.
Bruit de fond ou bruit subi ?
Moins spectaculaires que les sirènes ou les marteaux-piqueurs, les bruits du quotidien sont pourtant les plus insidieux. Que ce soit le voisinage d'un restaurant, les livraisons matinales ou encore la proximité des grands axes routiers.
Environ 88 % des Parisiens habitent dans un logement exposé à des niveaux de bruits nocturnes supérieurs aux recommandations de l'OMS. Chaque été, nombreux sont ceux qui affrontent le dilemme : suffoquer fenêtres closes ou subir, fenêtres ouvertes, le bourdonnement continu de la ville.
La journée n'offre guère de répit. Du trajet matinal en métro, qui est un des endroits où l'on mesure les pics de décibels les plus néfastes, jusqu'au café en terrasse. La concentration des activités inhérente aux métropoles démultiplie les flux, les rythmes de vie s'entrechoquent et la densité du bâti démultiplie la réverbération dans certaines artères.
Les nuisances ponctuelles sont pour leur part bien plus marquantes car elles dépassent sporadiquement nos seuils de tolérance et mettent à mal nos nerfs autant que nos tympans : troubles du voisinage, fêtes, marteaux-piqueurs…
Comment mettre de l'harmonie ?
Pour autant, je suis convaincu qu'il n'y a pas de fatalité. Nous avons des moyens pour atténuer cette pollution sonore. Certains permettent d'agir directement à la source. Je me souviens ainsi de voyages en Chine il y a quelques années ou j'avais été marqué par le silence qui s'était imposé aux intersections de certaines grandes avenues.
D'une année à l'autre, l'électrification du parc automobile (et surtout des scooters) a massivement amélioré la qualité de vie. Il est urgent de généraliser l'usage de véhicules électriques silencieux en ciblant l'effort sur les scooters électriques et sur les camions de livraison. Et pour les récalcitrants, des radars antibruit pourront compléter la panoplie !
L'aménagement urbain offre aussi des solutions : multiplier les zones piétonnes et pistes cyclables, installer des barrières acoustiques ou végétaliser. A Paris, une majorité du périphérique a déjà bénéficié d'enrobé anti-bruit.
Enfin, les bâtiments doivent être mieux isolés : comment tolérer encore du simple vitrage alors que nos voisins suisses généralisent le triple ? L'efficacité énergétique s'accompagne ici d'un gain acoustique majeur. Des cartes identifient les zones les plus exposées : il reste à inciter fortement leurs habitants à engager ces rénovations.
Ce qui agace le plus souvent, ce n'est pas seulement le bruit, mais le sentiment d'impuissance.
Et pourquoi pas repenser la manière dont nous habitons pour mieux traiter les nuisances de voisinage ? Dans certains pays voisins, une pièce commune est installée dans le rez-de-chaussée ou le sous-sol des copropriétés. Bien insonorisée, elle permet, sur réservation, d'y organiser des anniversaires, des répétitions etc.
La réglementation permet de traiter certains sujets évidents : limiter les horaires des transports ou activités bruyantes, encadrer les chantiers, recourir à la construction hors-site… autant d'actions qui permettent de mettre progressivement la ville en « mode silencieux ».
Ce qui agace le plus souvent, ce n'est pas seulement le bruit, mais le sentiment d'impuissance. Trop d'acteurs se partagent la responsabilité : services de la municipalité, police, propriétaires etc. Ils agissent rarement, et lorsque c'est le cas, cette action est ponctuelle et ne résout pas le problème de fond. Il faut offrir une réponse cohérente et durable, et non pas simplement de signaler les nuisances. Ce sont parfois des petits ajustements techniques qui permettent d'éviter d'être réveillé à chaque livraison.
Au lieu de vouloir mettre la ville en sourdine, tâchons d'éviter de subir les nuisances sonores qui font vriller nos nerfs. Au-delà d'être un enjeu majeur de la qualité de vie, les nuisances sonores sont une véritable question de santé publique. Ne faisons pas la sourde oreille !
Sylvain BOGEAT
Président du Think Tank Métropoles 50
Associé fondateur Vestack



